Des électeurs ordinaires

Des électeurs ordinaires
Enquête sur la normalisation de l’extrême droite

Des électeurs ordinaires

Félicien Faury

Paru le 03/05/2024

Ils sont artisans, employés, pompiers, commerçants, retraités… Ils ont un statut stable, disent n’être « pas à plaindre » même si les fins de mois peuvent être difficiles et l’avenir incertain. Et lorsqu’ils votent, c’est pour le Rassemblement national. De 2016 à 2022, d’un scrutin présidentiel à l’autre, le sociologue Félicien Faury est allé à leur rencontre dans le sud-est de la France, berceau historique de l’extrême droite française. Il a cherché à comprendre comment ces électeurs se représentent le monde social, leur territoire, leur voisinage, les inégalités économiques, l’action des services publics, la politique. Il donne aussi à voir la place centrale qu’occupe le racisme, sous ses diverses formes, dans leurs choix électoraux. Le vote RN se révèle ici fondé sur un sens commun, constitué de normes majoritaires perçues comme menacées – et qu’il s’agit donc de défendre. À travers des portraits et récits incarnés, cette enquête de terrain éclaire de façon inédite comment les idées d’extrême droite se diffusent au quotidien.

Les mésaventures de la critique

Mis en avant

Pierre Bourdieu, painted portrait - © Thierry Ehrmann (Flickr / CC)

On met ici Les mésaventures de la critique, la copie d’un texte de Franck Poupeau, livre un temps épuisé. Paru en 2012, son analyse permet de poser des jalons entre l’altermondialisme du début du XXI° siècle, l’écologisme qui lui est antérieur, l’indigénisme qui circule entre espaces sociaux, jusqu’aux luttes contemporaines qui tentent de les agréger. Cette approche sociologique suggère tous les avantages que procureraient aux militant-es de l’émancipation et de l’égalité sociale le fait de se saisir des outils d’analyses proposés par cette sociologie. Aussi bien pour comprendre les limites de ces engagements que d’anticiper les succès, les replis ou les récupérations.

Un terme central revient comme un fil rouge dans ce livre : la notion de pouvoir et de capital symbolique. On se propose d’indiquer quelques perspectives pour pouvoir manipuler cette notion.

Le capital symbolique

« Le capital symbolique n’est pas une espèce particulière de capital mais ce que devient toute espèce de capital lorsqu’elle est méconnue en tant que capital, c’est-à-dire en tant que force, pouvoir, capacité d’exploitation (actuelle ou potentielle), donc reconnue comme légitime. […] Produit de la transfiguration d’un rapport de force en rapport de sens, le capital symbolique arrache à l’insignifiance, comme absence d’importance et de sens » Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, p. 347

– On notera que Franck Poupeau s’en saisit comme d’un argument pour réfuter les analyses dominantes ou celles relevant du sens commun. Mais aussi comme d’un outil potentiellement opérationnel pour penser et combattre des formes de domination qui sont à la fois efficientes, reconnues par ceux et celles qui les subissent mais aussi méconnues dans les techniques « symboliques » employées.

– Dans la logique du champ scientifique dont ce chercheur en sciences sociales se réclame, le symbolique renvoie aussi à une forme d’analyse ésotérique, accessible aux seul-es initié-es et valant des profits de distinction, par rapport à l’analyse exotérique, celles des sociologues ou politiciens des médias qui enchaînent les lieux communs. Ce qui pose en creux le problème de la diffusion à des groupes sociaux non-spécialistes de ces outils.

– Dans le cadre des recherches en cours, cette notion peut servir également de masque à l’incompréhensible d’une époque donnée. Les sciences sont toujours en travaux, in progress

– On peut suggérer également que le capital ou le pouvoir symbolique renvoie à des objets et des relations encore très peu étudiées : les processus internes aux cerveaux humains et dans leurs relations réciproques. Ceci notamment dans le cadre des débats d’idées où l’explicite, le matériel, le pleinement visible n’apparaissent pas immédiatement. Les différentes espèces de capital (économique, social, informationnel) agissent sous trois états (objectivé : les artefacts humains, institutionnalisé : les relations sociales et incorporé : les structures mentales). On comprend alors que le recours à la notion de « symbolique » renvoie à un domaine beaucoup plus difficilement explicitable. Si on peut dresser des inventaires d’objets, faire des sociographes, les méthodes permettant de décrire et comprendre les structures et les fonctionnements mentaux restent encore à l’état d’ébauche.

– Enfin, le symbolique, loin de l’insignifiance qui est souvent attaché à ce terme, constitue le fondement de notions comme le sens, la raison d’être, l’éthique, l’universalité, le genre humain souvent reléguées en arrière-fond du discours politique.

On comprend donc tout l’intérêt des recherches cherchant à établir des bases matérialistes à ces effets d’autorité, de notoriété, de respectabilité, de reconnaissance que produit le capital symbolique, forme de magie sociale qui n’a pas encore été pleinement élucidée et comprise.

Propos pour servir à la résistance contre l’invasion néo-libéral

« Si j’ai pu me résoudre à rassembler pour la publication ces textes en grande partie inédits, c’est que j’ai le sentiment que les dangers contre lesquels ont été allumés les contre-feux dont ils voudraient perpétuer les effets ne sont ni ponctuels, ni occasionnels et que ces propos, s’ils sont plus exposés que les écrits méthodiquement contrôlés aux dissonances liées à la diversité des circonstances, pourront encore fournir des armes utiles à tous ceux qui s’efforcent de résister au fléau néo-libéral. » Pierre Bourdieu

Quelques extraits ici : Contre-feux 1

Quelques extraits de deux livres de sociologues qui évoquent les difficultés de manier les « armes utiles » dont parlait Pierre Bourdieu… : La liberté par la connaissance

 

Race et sciences sociales

Race et sciences sociales

Race et sciences sociales

Essai sur les usages publics d’une catégorie

Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Agone, 2021

Ce livre se positionne à la fois comme un ouvrage de recherche à part entière, proposant une critique de la catégorie de « race » et de ses usages, et comme une manière de prendre position contre la prégnance des thématiques identitaires dans les débats publics et scientifiques. Et, pour cette raison, il a suscité des polémiques.

La première partie, rédigée par Gérard Noiriel, propose une histoire sociale de la question raciale remontant jusqu’à ses origines, au XVIIe siècle. La deuxième partie, qui correspond aux chapitres 3 à 5 coécrits par les deux auteurs, porte sur la résurgence de la question raciale à partir des années 70 et, surtout, sur le recouvrement de la question sociale qu’elle aurait contribué à opérer. Enfin, dans la troisième partie, Stéphane Beaud analyse « le scandale racial » lié à l’affaire des quotas qu’a connu le football français il y a une décennie.

Race, nation, classe

Race, nation, classe

Race, nation, classe, Les identités ambiguës

Étienne Balibar et Immanuel Wallerstein

La Découverte, 1997, Première édition en 1988.

Pourquoi, cinquante ans après la défaite du nazisme, trente ans après la décolonisation et la reconnaissance des droits civiques aux Noirs américains, le racisme est-il en progression dans le monde ?

Comment relier, dans l’économie monde capitaliste, le racisme, le nationalisme et la lutte des classes ?

Stigmate, les usages sociaux des handicaps

Stigmate, les usages sociaux des handicaps

Stigmate, Les usages sociaux des handicaps

Erving Goffman, Les Éditions de Minuit, 1975

Dans ce chapitre du début du Livre, Stigmate et identité sociale, Erving Goffman analyse ce qu’est un stigmate et ses usages sociaux : marquer une différence et assigner une place, légitimer la domination par le marquage, socialement construit comme tel.

L émeute prime

emeuteprime

L’émeute prime, la nouvelle ère des soulèvements

de Joshua Clover,

Editions Entremonde, 2018

Chapitre 8 : Rébellions surnuméraires

Prolétarisation et racialisation

Un programme de désordre absolu

L’émeute publique

Chapitre 9 : L’émeute au présent : place, rue, commune     

La place et l’alliance de classe

La rue et l’écart

La commune et la catastrophe