On met ici Les mésaventures de la critique, la copie d’un texte de Franck Poupeau, livre un temps épuisé. Paru en 2012, son analyse permet de poser des jalons entre l’altermondialisme du début du XXI° siècle, l’écologisme qui lui est antérieur, l’indigénisme qui circule entre espaces sociaux, jusqu’aux luttes contemporaines qui tentent de les agréger. Cette approche sociologique suggère tous les avantages que procureraient aux militant-es de l’émancipation et de l’égalité sociale le fait de se saisir des outils d’analyses proposés par cette sociologie. Aussi bien pour comprendre les limites de ces engagements que d’anticiper les succès, les replis ou les récupérations.
Un terme central revient comme un fil rouge dans ce livre : la notion de pouvoir et de capital symbolique. On se propose d’indiquer quelques perspectives pour pouvoir manipuler cette notion.
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Le capital symbolique
« Le capital symbolique n’est pas une espèce particulière de capital mais ce que devient toute espèce de capital lorsqu’elle est méconnue en tant que capital, c’est-à-dire en tant que force, pouvoir, capacité d’exploitation (actuelle ou potentielle), donc reconnue comme légitime. […] Produit de la transfiguration d’un rapport de force en rapport de sens, le capital symbolique arrache à l’insignifiance, comme absence d’importance et de sens » Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, p. 347
– On notera que Franck Poupeau s’en saisit comme d’un argument pour réfuter les analyses dominantes ou celles relevant du sens commun. Mais aussi comme d’un outil potentiellement opérationnel pour penser et combattre des formes de domination qui sont à la fois efficientes, reconnues par ceux et celles qui les subissent mais aussi méconnues dans les techniques « symboliques » employées.
– Dans la logique du champ scientifique dont ce chercheur en sciences sociales se réclame, le symbolique renvoie aussi à une forme d’analyse ésotérique, non accessible aux initié-es et valant des profits de distinction, par rapport à l’analyse exotérique, celles des sociologues ou politiciens des médias qui enchaînent les lieux communs. Ce qui pose en creux le problème de la diffusion à des groupes sociaux non-spécialistes de ces outils.
– Dans le cadre des recherches en cours, cette notion peut servir également de masque à l’incompréhensible d’une époque donnée. Les sciences sont toujours en travaux, in progress…
– On peut suggérer également que le capital ou le pouvoir symbolique renvoie à des objets et des relations encore très peu étudiées : les processus internes aux cerveaux humains et dans leurs relations réciproques. Ceci notamment dans le cadre des débats d’idées où l’explicite, le matériel, le pleinement visible n’apparaissent pas immédiatement. Les différentes espèces de capital (économique, social, informationnel) agissent sous trois états (objectivé : les artefacts humains, institutionnalisé : les relations sociales et incorporé : les structures mentales). On comprend alors que le recours à la notion de « symbolique » renvoie à un domaine beaucoup plus difficilement explicitable. Si on peut dresser des inventaires d’objets, faire des sociographes, les méthodes permettant de décrire et comprendre les structures et les fonctionnements mentaux restent encore à l’état d’ébauche.
– Enfin, le symbolique, loin de l’insignifiance qui est souvent attaché à ce terme, constitue le fondement de notions comme le sens, la raison d’être, l’éthique, l’universalité, le genre humain souvent reléguées en arrière-fond du discours politique.
On comprend donc tout l’intérêt des recherches cherchant à établir des bases matérialistes à ces effets d’autorité, de notoriété, de respectabilité, de reconnaissance que produit le capital symbolique, forme de magie sociale qui n’a pas encore été pleinement élucidée et comprise.